* Critique: «Foirée montréalaise»: Plus qu’un rigodon du temps des Fêtes


Écrit par : yanik

Verdun, vendredi, le 8 décembre 2017 - Pour sa troisième édition, la «Foirée montréalaise» du Théâtre Urbi et Orbi, l’héritière et descendante des si populaires «Contes urbains», se donne comme thème – ou plutôt comme espace – l’arrondissement Montréal-Nord, si souvent varlopé dans les médias et dans l’imaginaire collectif, particulièrement ces dernières années.

Sous la toujours habile direction artistique de l’auteur, conteur et comédien Yvan Bienvenue, ce gros party de fin d’année rappelle, oui, la bonne vieille «Soirée canadienne» de la télévision, animée par Louis Bilodeau, mais surtout la fête de famille où tout ne tourne pas toujours parfaitement rond.

Bien que l’on puisse éprouver une certaine nostalgie devant la disparition des «Contes urbains», peut-être était-ce temps pour les créateurs de pouvoir renouveler le concept. Cependant, à mon avis, «Foirée montréalaise» ne fait pas le poids alors je mettrai tout de suite de côté les comparaisons et je prendrai Foirée montréalaise pour ce que c’est : quelque chose de complètement différent.

Ici, c’est Pascal Contamine qui fait office de Louis Bilodeau nouveau genre. Le dramaturge, metteur en scène et acteur fera le pont entre les spectateurs et les artistes invités, ceux qui feront l’«entertainement» musical et ceux qui nous raconteront leurs histoires, leurs souvenirs – récents ou plus anciens, bien que l’on ne remontera pas très, très loin dans le temps – de Montréal-Nord. Il mène la barque avec adresse, se laissant parfois déstabiliser par un petit moment improvisé (ou pas?), mais sans jamais perdre le euh… nord.

Et bien que les participants soient assis contre le mur de fond, debout autour du bar ou au piano comme dans une salle communautaire, attendant leur moment pour prendre le plancher, ils ne se gênent pas pour ajouter leur grain de sel pendant les monologues des autres. Ça ajoute du piquant et ça garde tout le monde vigilant parce qu’on ne sait jamais quand quelqu’un interviendra. Même si c’est sans doute écrit, tout ça…

À cet égard, il faut souligner le «personnage» d’Émilie, interprétée par Émilie Gilbert, et celui de Philippe, le séduisant et charismatique Philippe Racine, qui m’ont semblé les seuls fictifs. Émilie est cette trouble-fête qui ne se gêne pas pour dire tout ce qu’elle pense quand elle le pense – souvent presque entre ses dents – et qui crée constamment des malaises. D’ailleurs, après un moment, elle poussera quelque chose comme : «Ben là, si il faut que Michael nous «shoot» un boutte d’accordéon à chaque fois qu’y a un malaise…» Elle – et son histoire avec Philippe, que je ne vous raconte pas parce qu’elle est savoureuse, irrévérencieuse et ‘plaisir coupable’ à souhait, et que j’espère que vous voudrez la découvrir par vous-même – est le seul élément de la soirée où l’on semble vraiment suivre des personnages.

Pour le reste, on se fait raconter des anecdotes, des brins de souvenirs, des histoires d’immigration (superbe, le récit des parents polonais de Martine Francke, épiciers, et de sa petite amie «étrangère» qui la bousculera physiquement, créant l’ire de sa mère), de nouveaux arrivants, des traditions, des histoires qui, oui, frôlent le conte par moments… et on passe une soirée agréable, parfois touchante, souvent drôle, parfois un peu racoleuse et clichée (mais dans cette période de cynisme, de mesquinerie et de violence sous toutes ses formes, il faut avouer que ça fait du bien et il ne faut pas bouder son plaisir!).

Je me dois d’avouer que je ne suis pas un fan de musique traditionnelle québécoise, que je ne suis pas très «tapons du pied et jouons de la cuillère au son du violon», mais pour le reste, j’ai beaucoup apprécié cet heureux mélange de chant, d’histoires, d’incursion dans le Montréal-Nord de ces artistes qui y ont vraiment vécu ou qui y vivent encore (ou qui faut ‘mauditement’ bien semblant!).

Dans cette «Foirée montréalaise», on est appelé à défendre beaucoup ce Montréal-Nord, parfois un peu maladroitement, mais on déboulonne aussi des mythes et des perspectives un peu étroites, ce qui ouvre des horizons. Rafraîchissant.

Dans ce spectacle, je retiens tout particulièrement la grande candeur et chaleur de Michael Richard, le sympathique conteur/accordéoniste qui rappellera Fred Pellerin tout autant que le Capitaine Bonhomme, mais qui touchera nos cœurs avec les évocations de son grand-père. Ensuite, je retiens le talent, le charisme et l’énergie d’Ahmad Hamdan. J’ai adoré son récit de son premier ‘Noël dans une famille de souche’ – une découverte pour moi que cet artiste formidable. Puis, je souligne les excellentes participations d’Audrée Southière et Ines Talbi, des talents sublimes que je surveillerai dans les prochains mois, les prochaines années.

Cette troisième «Foirée montréalaise» – ma première – est donc une belle réussite. Et ne sera pas ma dernière. Dans quel arrondissement nous retrouverons-nous l’an prochain ?

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Foirée montréalaise
Textes : Chantal Cadieux, Jonathan Caron, Martine Francke, Ahmad Hamdan, Justin Laramée, Yannick Marcoux, Michael Richard, Audrée Southière, Elkahna Talbi et Ines Talbi
Mise en scène : Martin Desgagné
Avec Robin Bouliane (musique), Pascal Contamine (animation), Claude Fradette (musique), Martine Francke, Émilie Gilbert, Ahmad Hamdan, Philippe Racine, Michael Richard, Audrée Southière, Ines Talbi et Richardson Zéphir
Une production du Théâtre Urbi et Orbi en codiffusion avec le Théâtre de la Manufacture
Jusqu’au 22 décembre 2017 – mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h (2h10 incluant un court entracte animé)
Théâtre La Licorne, 4559, avenue Papineau, Montréal
Billetterie: 514-523-2246 – theatrelalicorne.com