* Critique: Théâtre anglophone: «“Master Harold”… and the Boys»: Toujours pertinent, à en faire frissonner


crit par : yanik

Candiac, vendredi, le 2 février 2018 - Lorsque Lisa Rubin, la directrice artistique du Centre Segal, a vu la production du classique contemporain «“Master Harold”… and the Boys» au Shaw Festival, elle a été tellement émue qu’elle s’est sentie appelée à faire venir cette production à Montréal. On ne peut que se réjouir que ce projet se soit réalisé.

par Yanik Comeau (ComunikMedia/ZoneCulture)

Bien que, comme Rubin le rappelle dans le programme, «l’Apartheid soit chose du passé», le racisme systémique, le privilège des Blancs, l’attitude de droit acquis et l’abus de pouvoir des employeurs sur leurs salariés ne le sont certainement pas. Ainsi, cette pièce de Fugard est encore clairement actuelle. Tristement.
Même si la pièce prend un bon moment à s’installer, à présenter ses enjeux et ses sympathiques personnages si joyeusement exotiques de par leurs accents (pour nous), lorsque le feu prend, tout le contexte et les problèmes auxquels ces êtres sont confrontés deviennent on-ne-peut-plus clairs et leur éclatent au visage tout autant qu’au nôtre.

Située dans un café familial d’Afrique du Sud pendant l’apartheid, la pièce nous présente deux des employés de la petite entreprise, Willie (le très émouvant Allan Louis) et Sam (le subtilement touchant André Sills), qui travaillent pour les parents (blancs, il va sans dire) de «Maître Harold», tout particulièrement pour sa mère puisque son père hospitalisé est absent depuis un bon moment déjà. Le jeune homme, un adolescent sûr de lui, intelligent, apparemment progressiste et à l’esprit ouvert (magnifiquement bien joué par James Daly qui a remporté le prix du meilleur acteur de soutien dans une pièce accordé par l’Association des Critiques de Théâtre de Toronto pour cette prestation), qui a toujours été en présence des «Boys» et qui ne les auraient jamais appelés ainsi en cent ans ayant pour ainsi dire été tour à tour à leur charge (ils ont presque été des gardiens d’enfant pour lui), leur ami et leur compagnon de jeu par moments, soudainement change d’attitude à leur égard lorsqu’il apprend que son père, un homme difficile qui souffre de graves problèmes liés à l’alcoolisme, va bientôt rentrer à la maison, virant sa vie sens-dessus-dessous.

Mise en scène par Philip Akin du Obsidian Theatre, cette production impeccable est une machine bien huilée. Tenue par des acteurs sans reproche, elle nous offre des moments tendres, des coups de poing solides et des moments amusants palpables.

La salle principale du Segal est magnifique. Je la voyais pour la première fois, moi qui ai assisté à la reprise de «Bad Jews» plus tôt cette saison, mais dans le Studio, qui est aussi un très beau théâtre.

Dans un monde où il est de plus en plus difficile pour les compagnies d’obtenir le financement public et les dons privés qu’elles requièrent pour produire (même si de généreux philanthropes s’impliquent de façon impressionnante, Dieu merci), les coproductions et les productions invitées d’autres théâtres sont clairement la voie de l’avenir. Elles permettent de ventiler les coûts, aux acteurs de jouer un plus grand nombre de représentations donc de rentabiliser leurs heures de répétition et au public de voir des productions qu’il ne se serait pas déplacé à quelques centaines de kilomètres pour voir. Tout le monde y gagne. Particulièrement lorsqu’il s’agit d’une excellente production comme «“Master Harold”… and the Boys», débarquée à Montréal à la fin janvier et s’étendant sur une partie du mois de février, le Mois d’Histoire des Noirs, rappelons-le.

Athol Fugard est donc bien vivant au Segal Centre… et en Californie où il vit et enseigne l’écriture dramatique, la mise en scène et le jeu depuis plusieurs années. Ses pièces, qui traitent toujours des enjeux des Sud-Africains, sont néanmoins devenues plus personnelles, plus autobiographiques après l’abolition de l’apartheid, mais il n’a jamais cessé de s’exprimer haut et fort. Espérons que nous aurons à nouveau l’occasion d’entendre cette voix à Montréal.

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«“Master Harold”… and the Boys» de Athol Fugard
Mise en scène: Philip Akin
Avec James Daly, Allan Louis et André Sills
Une production du Shaw Festival en collaboration avec Obsidian Theatre
présentée par le Centre Segal en collaboration avec Black Theatre Workshop
Jusqu’au 11 février 2018, deux representations le dimanche (14h, 19h), deux representations le mercredi (13h, 20h), lundi 19h, mardi, jeudi et samedi 20h, relâche le vendredi (Durée: 90 minutes, sans entracte)
Segal Centre for Performing Arts, 5170, chemin de la Côte-Sainte-Catherine, Montréal
Billeterie: 514-739-7944