* Critique: Théâtre anglophone: «Conversion» d’Alyson Grant: Cachez ce fiel que je ne saurais voir


Écrit par : yanik

Verdun, dimanche, le 11 février 2018 - Après avoir traité de choc post-traumatique dans "Trench Patterns" et de la fermeture du Royal Vic au pied du Mont-Royal dans "Progress!", la montréalaise Alyson Grant s’attaque aux secrets de famille, à l’intolérance, au sectarisme, au racisme, au sexisme, à l’islamophobie et à l’antisémitisme dans sa toute nouvelle pièce, le superbement construit huis clos familial "Conversion", présenté jusqu’au 25 février dans le tout nouveau lieu artistique de Notre-Dame-de-Grâce, le magnifique Espace Knox. Un déchirant festival de règlements de comptes qui s’intensifie, se gonfle, dégénère jusqu’à l’implosion.

par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)

Pendant qu’Abi (Denise Watt), la jeune médecin juive qui a suivi dans les traces de son père, et son mari Al (Mike Payette), un Noir qui a entrepris une conversion à l’Islam, anticipent le pire à quelques minutes de l’arrivée des parents de celle-ci pour un souper de famille, le jeune couple se remémore la dernière fois que les quatre se sont retrouvés autour d’une table pour un repas pénible et très arrosé. À un tel point que l’on est en droit de se demander : «Pourquoi vous remettre dans une situation pareille?» Pourquoi – pour l’amour du Bon Dieu – ou d’Allah ou de Yahvé – inviter à nouveau chez vous ces deux bombes à retardement? Parce que, lorsque l’on vit dans un monde civilisé, que l’on est des êtres «sociaux», c’est ce que l’on fait. Surtout quand les aînés en question ont mis le ‘cashdown’ sur la maison…

Lorsque Mary (Diana Fajrajsl) et Joseph (Timothy Hine) – avez-vous remarqué les prénoms? – arrivent enfin, on a déjà été informés de l’alcoolisme, du cynisme et des préjugés xénophobes de Maman Chérie alors on est déjà fins prêts à la détester. Au fur et à mesure que la soirée avance, le pourquoi de toute cette haine contre l’Humanité qui ronge Mary et la rend si rancunière et violente dans ses propos devient de plus en plus limpide. Et glace le dos.

À bien des égards, cette pièce m’a rappelé «Qui a peur de Virginia Woolf?», ce grand classique d’Edward Albee. Mary est clairement une Martha post-moderne et Joseph a plusieurs points communs avec George quoi qu’il soit beaucoup moins une victime que son ‘ancêtre’ américain. Aussi, je n’ai pas pu m’empêcher de faire des rapprochements avec le scénario de William Rose pour "Guess Who’s Coming to Dinner" (Devine qui vient dîner…) ainsi qu’avec les textes de Harold Pinter. La pièce d’Alyson Grant est tranchante, multicouches, puissante et parsemée de dialogue punché et fin.

Le directeur artistique d’Infinithéâtre Guy Sprung signe une mise en scène sensible et efficace, soutenant avec élégance sa distribution et dirigeant avec finesse. J’avais été impressionné par sa direction d’acteurs lorsque j’avais vu «Le Pont» de Trevor Ferguson à la Compagnie Jean Duceppe il y a quelques années, une pièce ("Long, Long, Short, Long") qu’il avait d’abord mise en scène en anglais.

En ce qui concerne la distribution, Diana Fajrajsl, originaire de Colombie Britannique, est époustouflante dans le rôle de Mary. Oscillant entre un ton badin, des lignes comiques livrées avec aplomb et des flèches verbales efficaces, elle est enivrante. Dans le role de Joe, son mari pas-si-parfait, Timothy Hine compose un personnage nuancé et complexe, tenant son bout devant cette puissante actrice qui dévore tout sur son passage. Bien que Denise Watt propose une Abi plus effacée, elle infuse néanmoins son personnage d’authenticité et de qualités attachantes. Dans le role du moins ambitieux Al, Mike Payette pourrait augmenter le niveau de testostérone puisque son personnage finit par avoir l’air mou et insipide. Qu’à cela ne tienne, il a quand même ses bons moments.

Le décor d’Emily Soussana intègre à merveille l’architecture superbe de l’Espace Knox dans le condo d’Al et Abi. Bien que l’énergie négative des personnages nous découragerait sans doute d’y élire domicile, le décor est si beau qu’il pourrait convaincre le plus difficile des agents immobiliers.

Tout compte fait, la première mondiale de «Conversion» d’Alyson Grant signée Infinithéâtre est une réussite.

*****
«Conversion» d’Alyson Grant
Mise en scène : Guy Sprung
Avec Diana Fajrajsl, Timothy Hine, Mike Payette et Denise Watt
Une production Infinithéâtre
Jusqu’au 25 février 2018, mardi au samedi 20h, matinées le dimanche (Payez ce que vous pouvez) 14h – Surtitres en français les mardis et vendredis (Durée: 1h20 sans entracte)
Espace Knox, 6215, avenue Godfrey, Notre-Dame-de-Grâce, Montréal
Billetterie: 514-987-1774 poste 104 www.infinitheatre.com