* Critique: Cinéma: «Charlotte a du fun», un film de Sophie Lorain: Au suivant !


Écrit par : yanik

Brossard, Vendredi, le 2 mars 2018 - Pour son deuxième long-métrage, la comédienne et réalisatrice Sophie Lorain a choisi de tourner le scénario de la jeune auteure de théâtre Catherine Léger («Filles en liberté» plus tôt cette saison à la Licorne). Bien qu’il s’agisse de son deuxième film, Lorain n’est pas une néophyte de la réalisation, elle qui a dirigé des épisodes de «Fortier» et des saisons complètes de «Un homme mort», «La Galère», «Nos étés», «Nouvelle adresse»... Neuf ans après son premier long-métrage, «Les Grandes Chaleurs», un scénario de Michel Marc Bouchard qui avait adapté sa pièce de «théâtre d’été», les attentes sont grandes.

par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)

Malheureusement, malgré ses qualités (notamment l’excellente interprétation des comédiens), ce film et son scénario, tout particulièrement, sont cousus de fil blanc et ne passeront pas à l’histoire. On se défendra en disant que ce n’était pas son but non plus, qu’on voulait faire un film de son temps, contemporain, qui présente des personnages d’ados d’ici, d’aujourd’hui, qui parlent comme des vrais ados, mais… n’a-t-on pas VRAK-TV pour ça ?

Le scénario de Catherine Léger semble avoir été manipulé par trop de chefs dans la cuisine. La prémisse de départ n’est pas mauvaise en soi, bien qu’éculée et dépourvue de toute originalité. Quand Charlotte apprend que «l’homme de sa vie», son grand amour qu’elle voyait comme son âme sœur, est gai, ses yeux lubriques, séduits par les gars qu’elle croise – littéralement, puisqu’on dirait que Sophie Lorain a chorégraphié un ballet –, la convainquent de solliciter un emploi chez Jouets Dépôt, là où travaillent les objets de son désir. Contre toute attente, le magasin est en telle pénurie de main d’œuvre qu’il embauche non seulement Charlotte (excellente Marguerite Bouchard que l’on a pu aussi apprécier dans «Nouvelle adresse» et «District 31») mais ses meilleures amies (Mégane, incarnée par Romane Denis, qui s’appelait aussi Mégane dans «Nouvelle adresse», et la vierge Aube, jouée par Rose Adam, que l’on avait découverte dans «La Galère» et vue dans «Le Journal d’Aurélie Laflamme» et «1981», entre autres) aussi. Après s’être fait du fun avec tous les gars du magasin et avoir raté son objectif de devenir une «salope dans le bon sens», Charlotte lance une campagne de financement pour promouvoir l’abstinence (pardon ?), plaçant des jarres de plastique près des caisses du magasin pour recueillir les dons. Elle pilotera une vraie de vraie campagne d’abstinence à la «Lysistrata» d’Aristophane, ce qui bouleversera «l’équilibre» du staff du Jouets Dépôt. Mais encore…? Au fil des pages du scénario, différentes campagnes de financement seront lancées, changeront d’objectif et… en bout de ligne, l’argent ne sera pas utilisé pour ce que l’on avait promis. Bref, ce scénario est plein de trous et ce film est beaucoup moins «audacieux et irrévérencieux» que le souhaitait sa réalisatrice. Trop de réécritures? Trop de "script doctors" qui veulent aider «la pauvre p’tite auteure de théâtre qui en est à son premier film et qui ne connaît pas les rouages»? Une hypothèse.

Un des principaux choix de réalisation est aussi très étrange, à mon avis. Pourquoi faire un film en noir et blanc en 2018? Pour rendre les scènes de sexe plus artistiques, moins "in your face"? On n’avait rien à craindre. Elles sont plutôt pudiques et de bon goût. Parce que c’est beau, le noir et blanc? D’accord, en autant qu’on l’éclaire comme il faut. Le résultat final donne plutôt l’impression que l’on voulait masquer un manque de budget alors qu’on a été financé à une «hauteur» bien respectable pour un film d’ici. Évidemment, comme la majorité des scènes se passent dans un magasin entrepôt comme on en connaît trop (tout le monde s’entend pour dire que c’est laid, l’intérieur d’un Costco, d’un ToysRUs ou d’un Arachides Dépôt), dans la chambre de Charlotte qui ressemble pas mal à la chambre de Marie Lamontagne dans l’Unité 9 et dans un sous-sol «pas fini» (ou est-ce que j’ai rêvé ça?), peut-être qu’on a plutôt tenté de masquer la laideur avec le noir et blanc, après le fait? En tout cas, le résultat final est loin d’être concluant.

Je ne saurais dire si les ados d’aujourd’hui apprécieront le choix du noir et blanc ou s’ils «achèteront» cette histoire cousue de fil blanc. Heureusement, les personnages sont plutôt sympathiques et tous les acteurs excellents. Mais honnêtement, je m’attendais à plus de la part de Sophie Lorain. Pas au niveau de la direction d’acteurs. Là-dessus, c’est 10 sur 10. Pas de doute qu’elle s’avère encore une metteure en scène de premier ordre. Mais dans le choix de scénario? Ma seule explication est qu’elle voyait là une belle occasion de réunir sur un même plateau plusieurs jeunes acteurs qu’elle avait déjà dirigés ou avec lesquels elle avait déjà joué à la télé. Un beau projet «retrouvailles», une belle vitrine pour d’excellents jeunes acteurs… pour le plaisir de le faire ensemble.

Ne reste plus qu’aux cinéphiles – jeunes et moins jeunes – de se faire une opinion par eux-mêmes.

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«Charlotte a du fun»
Scénario: Catherine Léger
Réalisation: Sophie Lorain
Distribution: Marguerite Bouchard, Rose Adam, Romane Denis, Alex Godbout, Anthony Therrien, Vassili Schneider, Marylou Belugou et Samuel Gauthier
Direction photo : Alexis Durand-Brault
Conception visuelle: Louise-Marie Beauchamp
Montage: Louis-Philippe Rathé
Composition musicale: Dazmo
Une production de Amérique Film
Producteur: Martin Paul-Hus
Sortie en salles : 2 mars 2018 (durée : 80 minutes)