* Critique: Théâtre: «De l’instant et de l’éternité» de Jocelyn Pelletier d’après Sénèque: Trio infernal


Écrit par : yanik

Verdun, mardi, le 27 mars 2018 - En s’attaquant à la Phèdre de Sénèque, le créateur et metteur en scène Jocelyn Pelletier souhaitait parler de liberté, de son rapport à l’art, du «devoir d’affranchissement que les artistes tentent de poursuivre » et d’amour interdit. On ne peut pas parler de Phèdre, d’Hippolyte et de son père Thésée sans parler d’amour interdit, ça c’est clair. Ce mythe grec est un des plus fascinants de la dramaturgie et il ne cessera jamais d’alimenter les artistes de tous les peuples, de tous les pays, jusqu’à la fin des temps.

par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)

En adoptant la traduction du grec par Florence Dupont et en s’associant au dramaturge et conseiller dramaturgique Stéphane Lépine pour en faire une adaptation, Pelletier a visé juste. Le texte qui en résulte, ce travail d’adaptation, «De l’instant et de l’éternité», est d’une grande force, d’une infinie beauté, d’une poésie à couper le souffle. Malheureusement, Pelletier-le-metteur-en-scène a choisi de faire jouer ses deux comédiens dans un québécois qui se marie mal au texte. La diction relâchée et les diphtongues qui semblent exagérées et forcées donnent l’impression que les comédiens jouent faux. Tout au long de la représentation, mon oreille a été heurtée par cette langue qui détonne avec la poésie sur la feuille. Alors que je tentais d’apprécier la splendeur des mots, la magie des images, on me giflait avec une langue qui jurait, qui ne correspondait pas aux syllabes que j’aurais dû entendre.

Ainsi, malgré leur charisme et leur énergie indéniables, Guillaume Perreault (que j’avais beaucoup apprécié dans «Titus» d'après Shakespeare présenté plus tôt cette saison par Les Écornifleuses au Prospero – ma critique sur Zone Culture ici) et Isabelle Roy que je découvrais avec bonheur dans le rôle de cette Phèdre contemporaine semblaient perdus, même avec tous leurs efforts pour rendre ce texte. Pendant plus d’une heure, on avait l’impression qu’ils nageaient à contre-courant, qu’ils jouent un autre texte que celui qu’on entendait, qu’ils ne se rejoignaient jamais. Désolant.

Les choix de mise en scène de Pelletier sont tout aussi désespérants. On comprend que, pour être de son temps, on souhaite intégrer la vidéo, l’amplification vocale et les effets visuels. On peut même y voir quelques avantages et quelques trouvailles ingénieuses. Mais quand, après une troublante tempête de stroboscopes, de lumières qui rappellent les laser d’un rave, d’étouffante glace sèche et d’effets sonores gonflants qui finissent par faire vibrer les estrades, Guillaume Perreault apparait juché sur le bloc d’argile – principal élément de décor – flambant nu, couvert de cette glaise qui le transforme en statue et qu’Isabelle Roy se traîne marche par marche jusqu’au fond de la salle pendant que quelques lignes préenregistrées par les comédiens sont répétées en boucle pendant des minutes qui semblent interminables, on se demande s’il n’y aurait pas eu une autre façon de faire comprendre aux spectateurs que l’Histoire a tendance à se répéter. Et est-ce bien cela que Pelletier voulait transmettre comme message ?

Une chose est certaine, laisser son public sur l’incertitude quant à la fin d’un spectacle n’est jamais une solution gagnante. Assis là, à contempler le corps magnifique et stoïquement immobile de Guillaume Perreault sur la scène et la statue que créait Isabelle Roy au fond de la salle, après un moment, comme spectateurs, on ne savait plus ce qui était attendu de nous. Le soir de la première, il a fallu qu’un ouvreur de l’Usine C pousse l’énorme porte de grange et que Danièle de Fontenay, la directrice artistique et codirectrice générale de l’Usine C, assise à côté de moi dans la salle, se lève pour que je comprenne que le spectacle était terminé. Pas d’applaudissements. Ou quelques-uns. Timides parce que non-coordonnés… Et un malaise général. Puis, un public qui sort sans pouvoir dire son appréciation aux comédiens qui ont néanmoins tout donné, eux à qui l’on ne peut reprocher des choix de mise en scène douteux.

Somme toute, je serai sorti bien déçu de cette relecture de Phèdre que j’anticipais avec plaisir. Espérons que ce texte riche, cette excellente adaptation, connaîtra une meilleure production que celle à laquelle elle a eu droit la semaine dernière.

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«De l’instant et de l’éternité»
Adaptation et mise en scène: Jocelyn Pelletier
Collaboration à l’adaptation: Stéphane Lépine
D’après 'Phèdre' de Sénèque traduit par Florence Dupont
Avec Guillaume Perreault et Isabelle Roy.
Assistance à la mise en scène, régie et conception vidéo: Francis-Olivier Métras
Conception décor et accessoires: Marie-Ève Fortier
Costumes: Marie-Chantale Vaillancourt
Musique et conception sonore: Gaspard Philippe
Conception lumières: Guy Simard
21 au 23 mars 2018 (1h05 sans entracte)
Usine C – petite salle, 1345, avenue Lalonde, Montréal
Réservations : 514-521-4493