* Critique: Théâtre: «Comment je suis devenu musulman» de Simon Boudreault: Marions-nous… dans le chaos!


Écrit par : yanik

Verdun, lundi, le 16 avril 2018 - Avec sa toute nouvelle comédie aux accents graves, «Comment je suis devenu musulman», présentée à La Licorne jusqu’au 21 avril, Simon Boudreault poursuit ses toujours rafraîchissantes explorations de la psyché humaine, sans se prendre la tête. Ça ne veut pas dire pour autant que ses textes ne soient pas habiles ou intelligents (les anglophones ont un beau mot pour ça: 'clever'). Au contraire ! Après «Soupers», «D pour Dieu ?», «As is (Tel quel)» et «En cas de pluie, aucun remboursement», l’auteur et metteur en scène traite à sa manière de la diversité culturelle dans la famille, dans le couple, dans le ici et le maintenant.

par Yanik Comeau (ComunikMédia/ZoneCulture)

Bien que «Comment je suis devenu musulman» ne révolutionne rien (je ne crois pas que c’était son but de toute façon), surtout dans une ère – pour ne pas dire une saison théâtrale ! – où les clivages ethniques et culturels sont au cœur de bien des œuvres (on n’a qu’à penser à «Mazal Tov» de Marc-André Thibault présentée à la salle intime du Prospero, au «Bad Jews» du Segal Center, au «Conversion» de Infinithéâtre ou au «Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?» de Philippe De Chauveron adapté par Emmanuel Reichenbach pour le Rideau Vert la saison dernière), la pièce est solidement construite, propose des personnages attachants et amusants et ne tombe jamais dans la facilité, la blague pour la blague. Habilement parsemée de sauts – jamais périlleux – dans le temps, tant derrière que devant, simplifiés par un décor et des accessoires ingénieusement pensés pour nous garder constamment dans le feu de l’action sans plomber le rythme, la pièce, écrite comme un scénario de film efficace, avec son histoire A et son histoire B qui se tissent de plus en plus serrées, malgré quelques longueurs, divertit et présente une tranche de vie à la fois touchante et divertissante.

L’histoire d’un jeune homme (Benoît Drouin-Germain), catholique mais pas vraiment, heureux en concubinage avec sa blonde (Sounia Balha), musulmane mais pas vraiment, qui se sent contraint par ses beaux-parents (Nabila Ben Youssef et Manuel Tadros), à se convertir à l’Islam («tu vas voir l’Imam de la rue Bellechasse, tu réponds à une question et c’est fait – on n’en parle plus!») parce que… c’est la chose à faire. Vraiment? Pour qui? Pour quoi? Et qu’en pensent ses parents à lui (Michel Laperrière et Marie Michaud)? En tout cas, sa mère aura rapidement d’autres préoccupations lorsqu’elle apprendra qu’elle a un cancer incurable qui ne lui laisse que quelques mois à vivre. Alors… ce mariage? Est-il vraiment nécessaire? Pour qui? Pour quoi?

Dirigeant habilement ses comédiens, Simon Boudreault a une vision claire de son spectacle et le mène à bon port. Multipliant les personnages, Michel Laperrière (particulièrement drôle dans le rôle du patron du casse-croûte – difficile de ne pas penser à son rôle dans «Une grenade avec ça ?» –, particulièrement touchant dans le rôle de l’ami d’enfance resté un grand enfant) et Manuel Tadros (ingénieusement rigide dans son corps dans le rôle de l’Imam et délicieusement caricatural dans le rôle du tailleur efféminé) sont formidables. Tout aussi crédibles mais dans des registres complètement différents, Nabila Ben Youssef (que je connaissais surtout comme humoriste et quelques petits rôles ici et là, mais qui est vraiment très solide dans cette partition exigeante) et Marie Michaud ravissent. Incarnant subtilement le désarroi et le désespoir de son personnage condamné à mourir du cancer, cette dernière ne tombe jamais dans le larmoiement tout en étant touchante, grinçante, tranchante et drôle.

Dans les rôles du jeune couple, Benoît Drouin-Germain (le détestable Laurent du téléroman «O’») et Sounia Balha (que je découvre avec bonheur) sont justes, attachants, drôles, crédibles comme couple et très solides, pour notre plus grand bonheur. On ne se lasse pas de les suivre, on veut savoir ce qu’il adviendra de leur couple, ce qu’ils feront de toutes ces émotions et ces facteurs extérieurs à naviguer.

Bref, on déguste «Comment je suis devenu musulman» comme on goûte une bonne pièce de Neil Simon. Avec beaucoup de rires bien sentis et une petite larme au coin de l’œil par moments. Et on sort du théâtre en se disant que «ça fait du bien».

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«Comment je suis devenu musulman» de Simon Boudreault
Mise en scène: Simon Boudreault
Avec Sounia Balha, Nabila Ben Youssef, Benoît Drouin-Germain, Michel Laperrière, Marie Michaud et Manuel Tadros
Une production de Simoniaques Théâtre en codiffusion avec La Manufacture
Jusqu’au 21 avril 2018 – mardi au jeudi 19h, vendredi 20h, samedi 16h (1h55 sans entracte)
*** Supplémentaires : 8 et 15 avril 2018 à 15h
Théâtre La Licorne, 4559, avenue Papineau, Montréal