* Mon français n'est pas une planche à découper jetable


Écrit par : yanik

Il paraît que nous vivons dans l’ère de la simplification, de la facilitation. Facile à croire si l’on regarde les publicités de Canadian Tire qui nous vantent les mérites du gadget de l’heure ou les tablettes des supermarchés garnies d’aliments quinze-secondes-au-micro-ondes. Moins évident si l’on prend en considération la réforme-de-la-réforme-de-la-restructuration des services de santé ou du système d’éducation, mais ça, c’est un autre débat.

Il y a quelques mois, je lisais un entrefilet dans le bulletin Éclats de l’Association des écrivains québécois pour la jeunesse (AEQJ) qui m’a fait bondir. Sous le titre «Nouvelle importante à savoir sur l’orthographe», on pouvait lire : «Le Conseil supérieur de la langue française à Paris a effectué une révision assez importante de la grammaire française et l'orthographe d'un bon nombre de mots devrait changer dès cette année». Plutôt que de dénoncer cette situation abrutissante et (à mon sens) tout à fait ridicule, l’article affirmait qu’il «serait donc important pour les auteurs et leurs éditeurs de connaître ces nouvelles règles».

Pardon ? Il serait «donc important» que les auteurs et les éditeurs acceptent et appuient une réforme de l’orthographe et de la grammaire qui fait un pied de nez aux racines latines et grecques des mots, les bases même de cette «langue belle avec des mots superbes qui porte son histoire à travers ses accents» (dixit Yves Duteil… et je crois que l’on puisse prendre le mot « accent » dans ses deux sens sans que monsieur Duteil ne s’en formalise) ? Pour citer maintenant une célèbre pub de bière qui a marqué l’histoire du Québec, «ben voyons donc !».

Il me semble qu’il y a quelques années, l’Académie Française ou le Conseil supérieur de la langue française de Paris (quel beau nom pour une petite bande de cravatés qui ont longtemps été accusés d’être trop conservateurs et qui, semble-t-il, du jour au lendemain, décident de s’avachir sur le divan en ticheurte souillé avec une bière d’une main et un sac de «chips» de l’autre) avait tenté une réforme en abolissant les «ph» à la faveur des «f» (personnellement, je trouve qu’un éléphant est plus gros, plus imposant et plus majestueux qu’un éléfant) et les «aux» au profit des «als» (un cheval, des… chevals ? Ouach !).

À l’époque, je me rappelle avoir entendu une personnalité respectée du domaine des Lettres (je ne me souviens plus qui, mais ça n’a aucune importance) dire : «Si les journalistes et les écrivains ignorent cette réforme idiote qui nivelle par le bas, elle disparaîtra, parce que nous, les hommes et les femmes de lettres, sommes ceux et celles qui utilisons et gardons la langue vivante et belle au quotidien».

J’avais été rassuré par ces propos parce que, même si je n’ai que 36 ans et que je suis d’une génération qui ne sait pas écrire, j’ai réussi à échapper aux grossières erreurs de la Méthode du Sablier proposée dans les années 70 au Québec. En effet, j’avais une mère sévère et acharnée (merci, maman, je t’aime !) qui s’assoyait près de moi tous les soirs à l’heure des devoirs pour s’assurer que je comprenne bien toutes les petites particularités de cette «langue belle à qui sait la défendre» (merci encore, monsieur Duteil).

Maintenant, encore une fois, nous nous buterions à un groupe de pseudo-intellectuels débranchés qui croient qu’en «simplifiant» la langue, ils la rendront plus facile à apprendre pour ces pauvres petits élèves qui travaillent TELLEMENT fort à l’école ? Est-ce qu’on facilite la chimie ? La physique ? Les mathématiques ? Une règle de grammaire, l’orthographe d’un mot existent pour une raison. On ne décide pas de changer ça du jour au lendemain, pas plus qu’on ne peut décider qu’il y a une quantité infinie d’eau de source sur la Lune et que l’on devrait aller la chercher pour l’embouteiller.

Peuple, à genoux ? Mais non ! Écrivains, journalistes, enseignants, levons-nous ! Les manifestations ne servent pas à grand-chose, à mon avis, mais en se tenant et en respectant cette langue magnifique que nous défendons déjà au quotidien dans nos écrits, nous sortirons tous gagnants… Et nous montrerons aux jeunes que ce n’est pas en empruntant la voie la plus facile que l’on arrive à quelque chose dans la vie.

Alors s’il vous plaît, battons-nous pour garder nos accents graves, aigus, circonflexes, nos trémas, nos féminins, nos pluriels, nos temps de verbes variés et précis,… assurons-nous de ne pas avoir un « ph » équilibré seulement dans nos piscines… et corrigeons (discrètement, pas devant leurs élèves, quand même !) les enseignants que nous entendons dire «la classe à Sylvie», «le crayon à Mélanie».

C’est bien beau, vouloir simplifier les choses, faciliter la vie. Mais mon français n’est pas une planche à découper jetable. Si j’utilise des planches à découper jetables sous prétexte que je veux éviter l’accumulation de bactéries (le savon, ça existe !), à court terme, j’aurai peut-être moins de vaisselle à faire, mais à moyen et long terme, je terminerai mes jours sur le site d’enfouissement que je laisserai en héritage à mes enfants.