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* Critique: «Vendre ou rénover» au Théâtre d'aujourd'hui: Recycler ou mettre à la poubelle nos classiques...
[ Opinions et comptes rendus | Écrit par : yanik @ 07:58pm le 31st of December ]
par Yanik Comeau (ZoneCulture)

Pour deux soirs seulement, les organisateurs du Festival du Jamais Lu envahissaient la scène principale du Centre du Théâtre d’aujourd’hui à Montréal avec le concept du metteur en scène Alexandre Fecteau, «Vendre ou rénover». Comme le concepteur l’a expliqué en début de soirée, «Vendre ou rénover» s’inspire de l’émission de télé où les participants rénovent et cherchent à vendre leur maison avant de décider ce qu’ils veulent vraiment en faire, mais ici, on vend (relègue aux oubliettes) ou rénove (envisage une nouvelle production) une pièce du répertoire québécois qui semble être tombée dans l’oubli. Une idée formidable puisque le Québec ose très peu ses propres reprises, optant plutôt pour la création et pour la reprise de classiques d’ailleurs. À moins que l’auteur soit Michel Tremblay ou Michel-Marc Bouchard, comme l’a souligné un des «combattants », Justin Laramée.

Le concept ressemble aussi un peu au «Combat des livres» que faisaient Marie-France Bazzo et Christiane Charette à la radio. Sauf qu’ici, deux auteurs viennent défendre des points de vue opposés sur une même œuvre. Un prétend vouloir vendre, l’autre rénover. Je le répète, une idée formidable où, cependant, parfois, on a l’impression que les combattants sont volontairement de mauvais défendeurs de l’angle à défendre.

Le premier soir, celui auquel j’ai assisté (et ici, il faut préciser que les deux «spectacles» sont complètement différentes), on débattait autour de «Les Oranges sont vertes» de Claude Gauvreau (créée au TNM en 1972), «La Déposition» d’Hélène Pednault (créée en 1988 par le Théâtre Expérimental des Femmes qui allait devenir l’Espace Go), «Le Temps sauvage» d’Anne Hébert (créée par le TNM au Palais Montcalm de Québec en 1966) et «Un Bateau que Dieu-sait-qui avait monté et qui flottait comme il pouvait, c’est-à-dire mal» d’Alain Pontaut (créée la même saison que «Les Oranges sont vertes» – a-t-on découvert au courant de la soirée ! – en octobre 1971).

«Les Oranges sont vertes»
La soirée a commencé avec le débat entre l’auteure Isabelle Hubert (dont la pièce «Le Cas Joé Ferguson» vient d’être présentée au Trident à Québec) et le comédien et auteur Mathieu Gosselin sur «Les Oranges sont vertes». Après un combat musclé dans lequel Hubert a très bien défendu la ‘non-lisibilité’ de cette œuvre de Gauvreau et Gosselin a beaucoup trop cité l’œuvre et n’a pas très bien défendu la pertinence de la ramener à la scène, la chroniqueuse culturelle Émilie Perreault du 98,5 à Montréal, juge attitrée à ce débat, a tranché : l’œuvre mérite d’être vendue, c’est-à-dire reléguer aux oubliettes.

«La Déposition»
Par la suite, les auteurs milléniaux Philippe Boutin et Jocelyn Pelletier présentaient leur face à face autour de «La Déposition» d’Hélène Pedneault, ridiculisant tour à tour cette pièce marquante de l’histoire d’Espace Go et minimisant honteusement la contribution de cette importante journaliste, auteure, parolière féministe décédée beaucoup trop jeune (56 ans) en 2008, en soulignant à gros traits que «La Déposition» avait été sa seule pièce de théâtre (comme si ça avait quoi que ce soit à voir avec sa qualité !). Ces deux jeunes blancs-becs ont eu l’air d’idiots machistes, irrespectueux et… quoi encore ? Bien que Boutin ait fait preuve d’audace et d’originalité dans son ‘projet’ de remonter «La Déposition», ses idées étaient tellement saugrenues qu’il faut se demander si elles ne s’inscrivaient pas dans un auto-sabotage sournois. En bout de ligne, le journaliste de La Presse, Mario Cloutier, juge attitré à ce combat, les aura solidement remis à leur place en les traitant ni plus ni moins d’adolescents attardés (je paraphrase), et aura fait gagner la rénovation dans ce cas… mais en précisant qu’il ne croyait pas Boutin l’homme de la situation pour en signer la résurrection. En effet !

«Le Temps sauvage»
Après l’entracte, la comédienne et dramaturge Marianne Dansereau (présentement artiste en résidence au Théâtre d’aujourd’hui – nous avons eu droit à son très intéressant «Savoir compter» à la salle Jean-Claude-Germain plus tôt cet automne et verront son «Hamster» à La Licorne en mars prochain) défendait l’argument ‘vendre’ et la comédienne et auteure Edith Patenaude défendait la rénovation de la seule œuvre dramatique de la romancière Anne Hébert, «Le Temps sauvage». Animées, articulées, passionnées, pertinentes, drôles et divertissantes, les deux combattantes ont présenté des points forts et, en fin de parcours, Brigitte Haentjens, auteure, metteure en scène et directrice artistique de Sybillines et du Théâtre français du Centre National des arts penchait vers la rénovation. Le combat le plus intéressant et le plus à propos de la soirée, à mon avis.

«Un Bateau que Dieu-sait-qui avait monté et qui flottait comme il pouvait, c’est-à-dire mal»
Le «Vendre ou rénover» du 13 décembre se terminait sur le face à face de la formidable Sarah Berthiaume (comédienne, metteure en scène et auteure chérie du Théâtre d’aujourd’hui à qui l’on doit, entre autres, «Yukonstyle», «Villes mortes» et «Nyotaimori» plus tard cette saison – en plus de l’extraordinaire «Antioche» présentée par le Théâtre Bluff à Fred-Barry cet automne) avec l’auteur, comédien et metteur en scène Justin Laramée qui a proposé tout un «number», bien écrit, loufoque, divertissant – pour ne pas dire délirant – pour défendre la rénovation de «Un Bateau que Dieu-sait-qui avait monté et qui flottait comme il pouvait, c’est-à-dire mal» d’Alain Pontaut. Cette pièce misogyne, mal construite et qui mérite clairement de sombrer dans l’oubli (ne devait-on pas ici débusquer les vieux classiques à dépoussiérer ?) a été délicieusement démolie par Berthiaume qui n’a eu aucune difficulté à convaincre le comédien, metteur en scène et directeur artistique du FTA Martin Faucher (qui a également signé la mise en scène d’«Antioche»… hum… conflit d’intérêt ? Je blague !) de voter pour la ‘vente’ de ce texte à oublier.

Cet exercice du «Vendre ou rénover», bien que souffrant de quelques faiblesses, mérite d’être renouvelé et de prendre de l’expansion. Cependant, je m’étonne que certains de ses participants soient si peu pertinents et que certains des textes soient clairement des perdants avant même le premier coup de poing. J’aurais bien aimé assister à la deuxième soirée, jeudi le 14 décembre, mais on ne peut pas être à deux places en même temps. La nouvelle création de Michel Tremblay chez Duceppe, «Enfant insignifiant !» (critique sur ZoneCulture bientôt), aura passé avant.

***
«Vendre ou rénover»
Un concept d’Alexandre Fecteau
Mise en scène et animation : Alexandre Fecteau
Avec Sarah Berthiaume, Marianne Dansereau, Mathieu Gosselin, Isabelle Hubert, Justin Laramée, Édith Patenaude et Jocelyn Pelletier, auteurs combattants
Juges: Mario Cloutier, Martin Faucher, Brigitte Haentjens, Émilie Perreault.
Une coproduction du Jamais Lu, du Centre du Théâtre d’aujourd’hui et de Nous sommes ici
Deux soirs seulement, 13 et 14 décembre 2017 20h00 (2h30 approximativement, incluant un entracte)
Salle principale – Théâtre d’aujourd’hui, 3900, rue Saint-Denis, Montréal

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